Ruby plaça le lainage encore humide sur une serviette-éponge, puis le recouvrit d’une deuxième serviette-éponge sur lequel elle passa vigoureusement, et à plusieurs reprises, un rouleau à pâtisserie, afin d’en accélérer le séchage.
Libérées de leur rôle de garde-malade, depuis un peu plus de deux semaines que Mr Talbott s’était rétabli et avait repris son poste, sa sœur et elle ne se consacraient plus qu’à leurs tâches habituelles. Lorsque Pearl la rejoignit dans la buanderie, un panier de linge à la main, Ruby la mit à contribution en la priant de l’aider à tirer sur un drap pour le défroisser et en faciliter le repassage. Elles s’en donnaient à cœur joie, chacune à une extrémité, bien campée sur ses jambes, essayant de faire perdre l’équilibre à l’autre. Leurs rires résonnèrent jusque dans les cuisines, où Mrs Dodds leva les yeux au ciel, par principe, bien qu’elle appréciât, au fond, de retrouver cette légèreté qui avait tant fait défaut à Winnicott Hall ces derniers temps.
Un bruit fit sursauter les deux femmes de ménage : le rouleau à pâtisserie venait de s’écraser avec fracas sur les dalles de pierre. Elles plièrent le drap en quatre et le posèrent sur la pile de linge à repasser, puis Ruby ramassa le rouleau et le remis à sa place, sur la table, loin du bord.
Elles s’apprêtaient à sortir lorsqu’un nouveau bruit les arrêta : le rouleau à pâtisserie se rapprochait lentement du bord, presque jusqu’à tomber, avant de repartir en sens inverse. Et encore. Et encore. De plus en plus vite. À croire que des mains invisibles s’en étaient emparé.
Ruby et Pearl, comme hypnotisées, virent le rouleau s’arrêter soudain près du bord, en suspens.
Elles n’étaient pas très au fait des lois de la gravité, mais ce dont elles étaient témoins semblait davantage obéir à quelques forces surnaturelles. Lorsque, tout à coup, l’ustensile finit par tomber, les deux jeunes filles prirent la fuite dans un même cri d’épouvante qui glaça le sang de Mrs Dodds.
À l’ombre de Winnicott : passage supprimé n°1
Cette courte scène devait avoir lieu page 229, après le chapitre dans lequel Viviane et George dessinent au bord de l'étang et avant la visite nocturne d'un homme à Viviane... Nous l'avons supprimée parce qu'elle ne faisait pas avancer l'intrigue et n'apprenait rien au lecteur sur les personnages. Il s'agissait seulement d'un phénomène étrange de plus, et aussi intéressante, intrigante ou amusante soit une scène, ça ne suffit pas.