Un soir, après le dîner, Viviane déambulait dans les allées du parc et la douceur de ce début de soirée, perdue dans ses pensées, quand elle aperçut George sur la balançoire. Cela la surprit quelque peu, l’enfant n’ayant pas pour habitude de sortir seul à cette heure. Aussi, elle s’approcha.
Une centaine de mètres les séparait encore lorsqu’il apparut à la préceptrice que son élève parlait à quelqu’un. Alors qu’il était seul. Cela ne l’étonna pas outre mesure, étant donné qu’il lui arrivait, à elle aussi, comme à beaucoup de grands solitaires, de tenir de grandes conversations à voix haute avec elle-même et avec ses morts. Non, c’est autre chose qui la décontenança : depuis une minute qu’elle l’observait, elle était sûre de ne pas l’avoir vu poser les pieds au sol une seule fois. À croire que quelqu’un le poussait !
Elle s’approcha et, comme elle s’y attendait, il se tut. Et s’aida enfin de ses pieds pour s’élancer.
« Miss Lombard ? demanda-t-il.
- Mon pas est-il donc si reconnaissable ?
- Je le reconnaîtrais entre mille. Comme l’odeur de votre eau de Cologne.
- Voulez-vous que je vous pousse ?
- Volontiers, merci. »
Elle commença à pousser le petit garçon.
« Vous aviez l’air de très bien vous débrouiller seul…
- Vraiment ?
- Vous allez rire, mais j’ai cru un instant que l’on vous poussait.
- Allons donc !
- Aurais-je mal vu ?
- Je ne vois pas d’autre explication. »
Peut-être ai-je mal vu… songea-t-elle. Peut-être mes sens m’ont-ils fait défaut.
« M’observiez-vous depuis longtemps ? demanda George.
- Depuis une ou deux minutes.
- Alors vous avez dû croire que je parlais tout seul…
- N’était-ce pas le cas ?
- Non.
- Vous ne parliez pas seul ?
- Non.
- Mais vous parliez ?
- Eh bien, en fait, je me disais un poème.
- Oh. »
Viviane, qui n’était plus sûre de rien depuis qu’elle vivait à Winnicott Hall, décida de le croire.
À l’ombre de Winnicott : passage supprimé n°2
Ce court chapitre aurait dû figurer page 257 du format broché (ou page 275 du format poche), entre l’épisode du sucrier à moitié vide lors de la réunion du cercle littéraire et celui du « lit possédé » de Lucille.